Street art et pélicans
- b8jo40
- 19 avr. 2018
- 8 min de lecture
La route de Santiago à Valparaiso est belle, il fait beau, il fait chaud...
Le 16 avril, nous arrivons donc à la nuit tombée à Valparaiso, dont le nom nous fait rêver : port du bout du monde, relâche des marins et des pirates à partir du XVI ème siècle, capitale sud-américaine du street art, mais aussi ville de violence, de délinquance (nous avons ouï-dire que le sport local était de lacérer les pneus des voitures étrangères... On est super contents).
Valparaiso a en effet mauvaise réputation : misérable, violente, dangereuse, "faites attention là-bas, ça craint"... Voilà le refrain qui revient imperturbablement lorsque nous disons à des chiliens que nous allons à "Valpo" (son petit surnom).
Un peu d'Histoire (et d'histoires) :
À partir du XVI ème siècle, Valparaiso, paisible bourgade de pêcheurs, s'est développée jusqu'à devenir le port le plus important de la côte ouest d'Amérique du Sud, grandeur qui a laissée jusqu'à aujourd'hui sa trace à travers les magnifiques bâtiments coloniaux (aujourd'hui en ruine pour un bon nombre).
Avec l'ouverture du canal de Panama en 1914 commence la décadence, et l'effondrement des usines de salpêtre d'Humberstone et Santa Laura (nous vous en parlons ICI), n'aide pas à arranger les choses.
Les bâtiments sont aujourd'hui décrépits, le taux de chômage explose (il est supérieur de presque 2 fois à la moyenne nationale)...
Le classement de tout le centre de Valparaiso au Patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO en 2003 a éveillé bien des espoirs, de nombreux habitants rêvant de voir la ville se développer grâce au tourisme.
Et elle le mérite, son classement au Patrimoine mondial !
L'ancienne "perle du Pacifique" (rien que ça...) est aujourd'hui une belle cité en amphithéâtre. Les cerros (collines) entourent le port et le Plano (la partie plane de la ville, centre économique de la ville grouillant d'activité en journée, réputé très dangereux après la tombée de la nuit), et on peut rejoindre leur sommets grâce à d'antiques funiculaires qu'on appelle ici ascenseurs...

Les magnifiques villas et vieilles bâtisses délabrées des cerros sont reliées au plano et au Pacifique par tout un système d'ascenseurs et surtout d'escaliers, souvent étroits et irréguliers. Seuls 7 ascenseurs fonctionnent encore aujourd'hui, alors qu'ils étaient une trentaine au début du siècle - la municipalité tente de les restaurer.
Une pensée émue pour les habitants qui doivent monter et descendre ces escaliers escarpés aux centaines de marches parfois plusieurs fois par jour !
Cependant, si le label UNESCO peut séduire, il entraîne aussi bien des difficultés : par exemple, pour restaurer un bâtiment classé par l'UNESCO, il faut utiliser des matériaux identiques à ceux utilisés à l'époque, et, surtout (et c'est bien là que le bât blesse), utiliser les techniques de l'époque.
Faute de pouvoir, tant pour des raisons financières que techniques, restaurer les bâtiments selon les critères de l'UNESCO, ceux-ci sont bien souvent laissés à l'abandon. Le pire dans tout ça : en plus de se détériorer, les bâtiments deviennent véritablement dangereux. En effet, il est interdit de les détruire (UNESCO oblige) et impossible de les restaurer. Résultat : ils se transforment en ruines prêtes à s'effondrer à chaque instant !
Mais Valparaiso, c'est aussi la ville de villégiature préférée de Pablo Neruda, le poète phare de la littérature chilienne, et nous avons bien envie de voir à quoi ressemble une ville où les commerçants et propriétaires d'immeubles PAIENT des graffeurs pour qu'ils leur repeignent la façade.
Le street-art imprègne tellement la culture ici que même les camions poubelles de la municipalité sont peints... Vous imaginez les couleurs dans une ville pareille ?

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Attention : amis graffeurs, amies graffeuses : comme partout ailleurs, il est interdit de peindre dans les rues de Valparaiso., et même un petit tag peut être sévèrement puni par une vilaine amende, et contrairement à ce qu'on pourrait croire, la police n'est pas particulièrement accommodante à ce sujet...
Bon, voilà, on l'a dit.
En vrai, tout est tagué, graffé, peint... Et clairement, tout n'est pas légal, loin s'en faut. N'est-ce pas aussi ce qui donne son charme à la ville ?
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Fin de notre petite parenthèse culturelle.
Mais il en faut bien plus que ça pour nous démotiver (bon, OK, on balise un peu pour nos pneus, mais sinon, ça va), surtout que nous savons très bien que Dorian et Léa nous attendent sagement au spot que nous ont indiqué Marie-Lou et Rodrigo (pour ceux qui n'ont pas suivi, nous avons rencontré tout ce petit monde là sur notre super parking de manouches à Santiago).
Nous avons cependant un petit accès de panique au moment où nous nous apercevons que ledit spot est situé tout en haut du cerro Playa Ancha et que... La pente est raide. Très raide. Trop raide pour Joia ? Que nenni ! Elle monte, notre princesse !
Cerise sur le gâteau : les copains nous attendent avec une magnifique plâtrée de pâtes.
On se marre bien, car Léa et Dorian voyagent en break : impossible donc, de manger à l'intérieur (chez nous, à deux, c'est jouable, à trois, c'est faisable, à quatre, c'est impensable), aussi nous sortons tables et tabourets pliants sur la place. Oui, on est chez nous partout...
Les locaux semblent intrigués mais pas dérangés, un voisin vient même nous voir pour nous dire où il habite et qu'on peut compter sur lui en cas de pépin.
Étonnamment, nous passons une nuit particulièrement calme, à peine troublée au matin par les écoliers du collegio voisin.

Après le petit déjeuner, nous partons tous ensemble à l'assaut de la ville.
Pour rejoindre le plano, nous passons devant la maison des Quatre Vents, longeons la promenade 21 de Mayo où touristes et échoppes de souvenirs se pressent, descendons des volées de marches dans des escaliers étroits et peinturlurés, apercevons de splendides murals (fresques faites par des graffeur)... Ça ne fait pas longtemps qu'on est là, mais cette ville nous enchante déjà.
Et que dire lorsqu'arrivés sur le plano, la première chose que l'on voit, c'est un conglomérat de food trucks... dont une kombi qui vend des sushis ! Il va sans dire que c'est là que nous déjeunons...

Nous passons le début d'après-midi à flâner au hasard dans les rues du plano.
À 15h, nous retournons sur la place principale afin d'y retrouver Anouk, une jeune française étudiante en beaux-arts installée au Chili depuis deux ans, qui nous servira de guide dans le labyrinthe des rues ou (et oui, comme à Buenos Aires, ici, on qualifie les gens et les choses de : du port).
Le concept est chouette : des visites guidées en petits groupes et en français, à la fin desquelles chacun rétribue le guide en fonction de ses moyens et de l'intérêt qu'il a porté à la visite.
Nous avons de la chance : notre petit groupe (une dizaine de personne) se compose uniquement de jeunes de 22 à 35 ans, et notre guide est aussi passionnée que passionnante. Elle nous accompagne à travers le plano et différents cerros pendant près de 3h30 - que nous ne voyons pas passer, et nous apprend à reconnaître les principaux artistes oeuvrant dans la ville.
La "visite" se termine par une discussion enflammée sur la politique chilienne et les problèmes de santé et d'éducation du pays. Elle a largement dépassé le temps "règlementaire" du tour, mais personne n'a très envie de s'en aller, aussi, nous nous retrouvons tous dans un petit bar pas cher et sympa recommandé par notre guide

Bien qu'on nous ait maintes et maintes fois répété qu'il ne faut pas s'aventurer de nuit sur le plano, nous n'avons pas vraiment le choix : nous devons rentrer à nos camions, n'avons pas les moyens de nous payer un Uber ou un taxi, et... notre état éthylique ne nous permet pas de tenter un gros détour à travers les cerros. De toute façon, certains cerros craignent un peu la nuit, donc à tout prendre...
Et puis, à quatre, nous nous sentons forts !
De fait, nous ne croisons que des chiens errants et des groupes de jeunes comme nous un peu éméchés et en quête d'un bar ou de leur logement. La seule chose terrible qui nous arrive est de devoir grimper tout en haut de notre colline par des escaliers particulièrement raides alors que nous n'en pouvons plus.
De retour sur "notre" place, nous sommes épuisés et prêts à nous mettre au lit, mais Léa se lance dans la préparation de polenta et d'oeufs au plat : nous n'avons rien mangé depuis midi, il est 1h30 du matin, c'est trop beau pour dire non...
Alors que nous nous apprêtons à nous jeter sur notre dîner, un jeune mec à qui Dorian avait adressé quelques mots en arrivant sur la place nous rejoint.
Pablo est super chouette (muy buena onda comme on dit ici). Étudiant en tourisme, il apprend le français et s'émerveille de nos parcours respectifs - visiter le monde en van est un de ses rêves.
Malheureusement, deux gros lourdauds, pas méchants mais sérieusement avinés, débarquent et gâchent un peu l'ambiance : ils sont tellement lourds que c'est le branle-bat de combat, nous remballons tout à la vitesse de l'éclair et fonçons nous coucher (non sans échanger nos coordonnées avec Pablo afin de le retrouver plus tard).
Le lendemain, nous ne sommes pas en super forme...
Après avoir déjeuné dans un petit resto pas cher du plano, nous devons le traverser pour rejoindre les cerros. Ce qui nous a paru super sympa, animé et vivant la veille nous paraît très dur ce jour là : le bruit, les odeurs et l'agitation de la foule sont difficilement supportables et nous semblent être une véritable agression.
Heureusement, nous finissons par atteindre le point de départ de la balade que nous a concoctée Quentin, et nous nous retrouvons enfin dans le calme des cerros.
Nous musardons et explorons les ruelles au gré de nos inspirations du moment, jusqu'à la maison de Pablo Neruda et l'ancien pénitencier, haut lieu de la torture durant l'ère Pinochet, aujourd'hui jardin public.
Nous nous promenons jusqu'à la nuit tombée, avec la sensation de flotter dans la douceur de l'air du soir.
Bien que les cerros soit en général assez sûrs, nous ne tardons pas trop à rentrer : nous sommes tous absolument épuisés (entre notre folle soirée d'hier et notre longue balade d'aujourd'hui, nous somme cuits, archi cuits !).
Le lendemain, Pablo nous rejoint sur la place pour boire un café, avant de nous emmener au marché aux poissons, un peu en-dehors de la ville, sur le chemin de Viña del Mar, haut lieu de villégiature des habitants de Santiago.

Voilà, on a tout remballé, prêts à aller au port avec Pablo !
Notez la voiture au premier plan (derrière l'arbre) : c'est la "maison" de Léa & Dorian ! De vrais guerriers !
Sur place, nous flânons gentiment, grignotant quelques moules par-ci, des saint-jacques par là, des ceviche...
La forte odeur de marée qui règne ici attire les clients, mais surtout... les mouettes, lions de mer et pélicans !
Nous sommes ravis : c'est la première fois que nous voyons des pélicans ! Ils sont assez impressionnants, mais n'ont pas l'air commodes.
Les autres qui n'ont pas l'air commodes, ce sont les policiers qui se regroupent afin d'être prêts à intervenir dans une manifestation d'étudiants qui est en train de se rassembler dans le centre - et que Pablo s'apprête d'ailleurs à rejoindre.
Leur dispositif anti-émeutes est particulièrement impressionnant, et semble bien plus adapté à un contexte militaire qu'à un rassemblement pacifique de jeunes... On sent bien l'influence et la présence de l'ère Pinochet : le Chili reste un pays très militarisé.
Nous aurions bien accompagné Pablo, mais Dorian et Léa ne semble pas s'intéresser particulièrement aux mouvements sociaux, et surtout, nous avons encore une longue route avant d'atteindre la mythique frontière du paso de los Libertadores, au coeur des Andes.
À bientôt en la carretera !
En bonus : les photos de nos murals et graffitis préférés (avec quelques explications), ainsi que la vidéo d'un mural poignant, racontant en quelques images la disparition d'un peuple (n'oubliez pas d'activer les sous-titres !). En dehors des Mapuches, aucune civilisation précolombienne n'a survécu à l'arrivée des espagnols au Chili.
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